Mozilla, les DRM, le W3C…

Conformément aux travaux du W3C, la fondation Mozilla a annoncé dernièrement qu’elle travaillait à l’intégration des DRM au sein du navigateur Firefox. Cette annonce suscite de nombreuses réactions du côté des utilisateurs : cette intégration est-elle nécessaire ? Est-ce qu’il n’y a pas d’autre moyen de passer outre ce nouveau standard en devenir ?

Encrypted Media Extensions

Depuis plusieurs mois, le W3C se penche sur l’élaboration d’un nouveau standard au sein du HTML qui concerne les DRM.

Ce standard aura pour but d’unifier les systèmes de gestion des droits sur les contenus, actuellement gérés par des solutions tierces comme Adobe Flash Player et de les prendre en charge nativement au sein des navigateurs.

La solution retenue passe par une sandbox, au sein de laquelle tourne une boîte noire (comprendre un logiciel propriétaire) fournie par une entreprise telle qu’Adobe. Lorsqu’un contenu est protégé par des DRM, le navigateur transmet le flux à cette boîte noire qui se charge d’obtenir l’autorisation (ou non) de décoder le contenu, qu’elle transmet en retour au navigateur qui peut enfin l’afficher à l’utilisateur si ce dernier possède les droits nécessaires.

Le DRM d’Adobe tournerait dans la sandbox de Firefox

Aucune spécification concernant le format de la boîte noire d’Adobe n’est encore disponible : ça risque par exemple de poser problème pour la portabilité sous différentes infrastructures.

Ce n’est pas une solution…

Ce n’est que mon avis, mais je ne pense pas que ce soit une vraie solution à long terme. A (très) court terme éventuellement, mais pas beaucoup plus.

Il y a un choix à faire, et il est d’autant plus important ici : Mozilla est une organisation à but non-lucratif, qui promeut un web libre et ouvert à toutes et tous. Or ces DRM font tout le contraire : comme le rappelle Cory Doctorow dans sa tribune dans The Guardian, les DRM considèrent en premier lieu l’utilisateur comme ennemi, comme adversaire. Celui-ci est avant tout potentiellement nuisible et non digne de confiance.

Une telle position nécessite une réflexion approfondie - d’autant plus lorsque c’est une organisation comme Mozilla qui la prend - pour montrer que ce choix est la seule voie possible et qu’il n’existe aucune alternative.

Les gens sont déjà familiers du problème des DRM, sans nécessairement en être conscient. Je prends comme exemple le lecteur DVD qui est l’un des appareils les plus fermés au possible : qui n’a jamais rencontré un problème pour lire un DVD parce que l’appareil considérait que l’on n’en avait pas le droit ? Tout le monde s’y est déjà frotté, même la personne la plus novice. Est-ce ce qu’elle souhaite également rencontrer sur le Web ? Quoiqu’on en dise, je ne le pense pas, même si c’est pour regarder des vidéos de chats ou des documentaires d’éléphants.

Oui, les autres navigateurs ont déjà bien avancé leur mise en place. C’est dans la logique des choses, ce sont des logiciels ayant pour but de faire du profit : Chrome, Internet Explorer…

Pour autant, suivre la marche par seule crainte que les utilisateurs migrent vers un autre navigateur me parait assez faible. Certes, la force de la fondation Mozilla est sa communauté et son nombre d’utilisateurs - il est donc important d’en prendre soin. Pour autant, avoir des utilisateurs, mais restreindre ceux-ci dans leur navigation sur le Web n’est pas très enviable, ni tenable.

Mozilla souhaite effectivement limiter les dégâts (et c’est un point vraiment positif par rapport aux autres navigateurs) : la sandbox sera libre et open-source. Pour autant, cela n’apporte aucune garantie de liberté : comment la boîte noire d’Adobe valide t-elle la sandbox dans laquelle elle tourne ? La valide t-elle également en cas de modification, comme c’est censé être possible pour tout logiciel libre ? Ou bien cette boîte noire ne fonctionnera uniquement qu’avec la version “d’origine” de la sandbox, sans possibilité pour l’utilisateur de la modifier soi-même.

Encore une fois, sous quel format sera disponible la boîte noire d’Adobe ? Je doute sincèrement quant à la portabilité de la chose sur d’autres infrastructures. Firefox s’alourdira d’un nouveau poids, d’un nouveau module non souhaité.

J’ai entendu à plusieurs reprises dire que “c’est comme pour Flash et ça ne posait pas autant de problème.”. Je ne suis pas d’accord : Flash ne fait pas partie du Web.

Le Web se veut libre et ouvert, ce qui n’est pas le cas de Flash Player. Et surtout, Flash n’a jamais été un standard. Il est possible de s’en passer facilement, et il est désormais aisé de regarder des vidéos sans plugin tiers, simplement grâce au HTML5. Ce logiciel meurt à petit feu pour laisser la place à cette technologie ouverte qu’est le HTML, grâce aux nouvelles fonctions qu’offre sa version 5. Il y a bien une raison, et ce n’est pas en ajoutant une “fonctionnalité” similaire dans le HTML5 que cette tendace s’inversera : les utilisateurs sont restreints pour visionner un contenu ? Ils n’insisteront pas et passeront à autre chose d’ouvert, ailleurs.

Le fait d’incorporer un standard au sein du HTML5 pour restreindre les droits des utilisateurs fait vraiment mal au coeur. J’espère que Mozilla fera tout pour sensibiliser ses utilisateurs sur cet aspect là et continuera à travailler sur des alternatives, ainsi qu’à faire porter la voix de sa communauté pour faire entendre d’autres souhaits que ceux d’Hollywood, de la BBC, de Netflix, Microsoft, Google ou de l’industrie de la culture, qui portent préjudice à l’intérêt des internautes du monde entier.